COURT RECIT D'UNE JOURNÉE TOUT À FAIT COMME UNE AUTRE DANS UN LIEU RÉELEMENT PAS COMME LES AUTRES.
Dans l'espérance de l'approche imminente des occupants de l'écolodge, cavaliers d'un jour pour un départ vers un autre horizon, une découverte insolite, une nouvelle aventure; l'équipe accompagnatrice vaque à droite et à gauche autour de la sellerie et du corral afin d'occuper les derniers instants libres dont elle dispose. Chacun s'emploie à s'assurer que chaque chose est à sa place. Que tout est absolument conforme à la sécurité, que tout est organisé à l'avance, envisagé pour le voyage, même l'imprévu. Les voix masculines continuent sourdement de psalmodier, mais cette fois-ci différemment, avec une toute autre sonorité. Le thème des textes chantés change insensiblement, devient un peu plus libre, osé. Les longues virées galopantes et les chevaux d'allure sont maintenant délaissés, au profit d'un sujet qui obsède tout autant ces cavaliers souvent solitaires, au caractère bien trempé, terriblement latins. Avec le temps qui défile mollement dans l'attente des hôtes du ranch, on pense maintenant avec un peu de mélancolie aux femmes que l'on va laisser derrière soi pour un moment et avec intérêt, à celles que l'on va certainement croiser dans pas très longtemps, tout au long des pistes terreuses, qui traversent nombre de petits villages éloignés de la cordillère. Le plus âgé du groupe commence à chanter d'une voix rocailleuse de basse, un vieux poème sud-américain que les autres reprennent aussitôt en choeur, constituant ainsi, une polyphonie harmonieuse qui anime joyeusement le cercle chaleureux inconsciemment formé autour des chevaux :
"Cuerpo
de mujer, blancas colinas, muslos blancos,
te pareces al mundo en
tu actitud de entrega.
Mi cuerpo de labriego salvaje te socava
y
hace saltar el hijo del fondo de la tierra.
Fui solo como un
túnel. De mà huÃan los pájaros
y en mÃ
la noche entraba su invasión poderosa.
Para sobrevivirme te
forjé como una arma,
como una flecha en mi arco, como una
piedra en mi honda.
Pero cae la hora de la venganza, y te
amo.
Cuerpo de piel, de musgo, de leche ávida y firme.
¡
Ah los vasos del pecho ! ¡ Ah los ojos de ausencia !
¡
Ah las rosas del pubis ! ¡ Ah tu voz lenta y triste !
Cuerpo
de mujer mÃa, persistiré en tu gracia.
¡ Mi
sed, mi ansÃa sin lÃmite, mi camino indeciso !
Oscuros
cauces donde la sed eterna sigue,
y la fatiga sigue, y el dolor
infinito."
Le jour est désormais et une fois pour toutes levé.
Les premiers rayons du soleil mettent en valeur, tel un puissant
projecteur de théâtre, les rides de chaque visage tané.
Les feutres cabossés à large bords accentuent les
contrastes de ces gueules burinées, entre les zones éclairées
et celles misent à l'ombre par les grands sombreros.
Le
café brûlant continue de circuler à la ronde pour
être versé de gobelet en gobelet. Un des assistants lève
son bras accompagné de
sa timbale fumante et adresse un salut
volontairement pompeux à l'astre lumineux en clamant: "Je
bois aux chevaux, aux femmes et à ceux qui les montent!".
Aussitôt l'hilarité est générale. Les
plaisanteries égrillardes fusent. On ironise, on dit des
choses drôles, on s'amuse, on se chahute verbalement, on prend
du bon temps, on aime rire, on oublie complètement le spleen
d'il y a un instant.
Maintenant les montures perçoivent
intuitivement l'immédiateté du départ. Elles
commencent à piaffer d'impatience. Les sabots frappent le sol
de plus en plus nerveusement. Les crinières caressées
par la légère brise matinale, frémissent. Les
plus excitées s'ébrouent en secouant vivement la tête.
Leurs selles sont réajustées, leurs sangles resserrées.
Les mors testés et machouillés par les gueules
écumantes et légèrement baveuses, cliquètent
vivement et paraissent accompagner en prosodie les paroles
polyphoniques des cavaliers.
Un homme du groupe met le pied Ã
l'étrier, s'élève avec précaution pour se
mettre en selle, rassure sa monture, la touche affectueusement, lui
parle. Il s'engage maintenant dans le corral pour rappeler au fier
animal son allure naturellement amblée. Il le fait se mettre Ã
différents "paso". L'élégant ambleur
écoute, s'apaise, s'exécute avec complaisance, cambre
avec énormément de grâce et de distinction son
encolure. Les avant-bras se lèvent de plus en plus rapidement,
ils donnent l'impression de tricoter avec excessivement d'ardeur et
de rapidité la latérite déjà bien tassée
du sol, tout en se déplacant malgré tout, très
lentement, comme s'il restait sur place, à piétiner.
Ses genoux à chaque pas sont étonnament hauts levés.
Les autres chevaux regardent avec intérêt et envie,
prêts à imiter, cette allure fabuleuse que l'on nomme
"amble".
Ils se souviennent maintenant ce que leur ont transmis leurs
gènes lorsqu'ils avaient commencé à être
monté par ces cavaliers compétents.
Pendant ce
temps, autour du corral, appuyé sur les barrières de
protection de l'enceinte, le choeur masculin entonne de plus en plus
fréquemment quantité d'hymmes à la gloire de la
gent féminine, empruntés à des poètes
latins célèbres. On s'esclaffe pour peu de choses, on
affabule sur tout, et sur rien, on décrit des situations
inventées, des odeurs plus ou moins mensongères, des
parfums totalement imaginaires. Les situations un peu hardies
deviennent réalités. La femme est alors créature
céleste, déesse, oiseau, fleur, friandise, fée,
gourmandise, nymphe
:
"Son
tus perjúmenes, mujer, los que me sulibeyan, los que me
sulibeyan, son tus perjúmenes mujer. Tus ojos son de colibrÃ,
¡ay cómo me aleteyan!, ¡ay cómo me
aleteyan!, tus ojos son de colibrÃ. Son tus perjúmenes,
mujer, los que me sulibeyan, los que me sulibeyan, son tus perjúmenes
mujer. Tus labios, pétalos en flor, ¡cómo me
soripeyan!, ¡cómo me soripeyan!, tus labios, pétalos
en flor. Son tus perjúmenes, mujer, los que me sulibeyan, los
que me sulibeyan,
son tus perjúmenes mujer. Tus pechos,
cántaros de miel, ¡cómo reverbereyan!, ¡cómo
reverbereyan!, tus pechos cántaros de miel. Son tus
perjúmenes, mujer, los que me sulibeyan,
los que me
sulibeyan, son tus perjúmenes mujer. Tu cuerpo chúcaro,
mi bien, ¡ay, cómo me almareya!, ¡ay, cómo
me almareya!, tu cuerpo chúcaro, mi bien. Son tus perjúmenes,
mujer, los que me sulibeyan, los que me sulibeyan, son tus perjúmenes
mujer."