Départ matinal pour nulle part ailleurs (2ème partie)

COURT RECIT D'UNE JOURNÉE TOUT À FAIT COMME UNE AUTRE DANS UN LIEU RÉELEMENT PAS COMME LES AUTRES.

Dans l'espérance de l'approche imminente des occupants de l'écolodge, cavaliers d'un jour pour un départ vers un autre horizon, une découverte insolite, une nouvelle aventure; l'équipe accompagnatrice vaque à droite et à gauche autour de la sellerie et du corral afin d'occuper les derniers instants libres dont elle dispose. Chacun s'emploie à s'assurer que chaque chose est à sa place. Que tout est absolument conforme à la sécurité, que tout est organisé à l'avance, envisagé pour le voyage, même l'imprévu. Les voix masculines continuent sourdement de psalmodier, mais cette fois-ci différemment, avec une toute autre sonorité. Le thème des textes chantés change insensiblement, devient un peu plus libre, osé. Les longues virées galopantes et les chevaux d'allure sont maintenant délaissés, au profit d'un sujet qui obsède tout autant ces cavaliers souvent solitaires, au caractère bien trempé, terriblement latins. Avec le temps qui défile mollement dans l'attente des hôtes du ranch, on pense maintenant avec un peu de mélancolie aux femmes que l'on va laisser derrière soi pour un moment et avec intérêt, à celles que l'on va certainement croiser dans pas très longtemps, tout au long des pistes terreuses, qui traversent nombre de petits villages éloignés de la cordillère. Le plus âgé du groupe commence à chanter d'une voix rocailleuse de basse, un vieux poème sud-américain que les autres reprennent aussitôt en choeur, constituant ainsi, une polyphonie harmonieuse qui anime joyeusement le cercle chaleureux inconsciemment formé autour des chevaux :

"Cuerpo de mujer, blancas colinas, muslos blancos,
te pareces al mundo en tu actitud de entrega.
Mi cuerpo de labriego salvaje te socava
y hace saltar el hijo del fondo de la tierra.
Fui solo como un túnel. De mí huían los pájaros
y en mí la noche entraba su invasión poderosa.
Para sobrevivirme te forjé como una arma,
como una flecha en mi arco, como una piedra en mi honda.
Pero cae la hora de la venganza, y te amo.
Cuerpo de piel, de musgo, de leche ávida y firme.
¡ Ah los vasos del pecho ! ¡ Ah los ojos de ausencia !
¡ Ah las rosas del pubis ! ¡ Ah tu voz lenta y triste !
Cuerpo de mujer mía, persistiré en tu gracia.
¡ Mi sed, mi ansía sin límite, mi camino indeciso !
Oscuros cauces donde la sed eterna sigue,
y la fatiga sigue, y el dolor infinito.
"
Le jour est désormais et une fois pour toutes levé. Les premiers rayons du soleil mettent en valeur, tel un puissant projecteur de théâtre, les rides de chaque visage tanné. Les feutres cabossés à large bords accentuent les contrastes de ces gueules burinées, entre les zones éclairées et celles misent à l'ombre par les grands sombreros.

Le café brulant continue de circuler à la ronde pour être versé de gobelet en gobelet. Un des assistants lève son bras accompagné de sa timbale fumante et adresse un salut volontairement pompeux à l'astre lumineux en clamant: "¡Bebo a los caballos, a las mujeres y a los que los suben!". (Je bois aux chevaux, aux femmes et à ceux qui les montent!). Aussitôt l'hilarité est générale. Les plaisanteries égrillardes fusent. On ironise, on dit des choses drôles, on s'amuse, on se chahute verbalement, on prend du bon temps, on aime rire, on oublie complètement le spleen d'il y a un instant.
Maintenant les montures perçoivent intuitivement l'immédiateté du départ. Elles commencent à piaffer d'impatience. Les sabots frappent le sol de plus en plus nerveusement. Les crinières caressées par la légère brise matinale, frémissent. Les plus excitées s'ébrouent en secouant vivement la tête. Leurs selles sont réajustées, leurs sangles resserrées. Les mors testés et mâchouillés par les gueules écumantes et légèrement baveuses, cliquètent vivement et paraissent accompagner en prosodie les paroles polyphoniques des cavaliers.

Un homme du groupe met le pied à l'étrier, s'élève avec précaution pour se mettre en selle, rassure sa monture, la touche affectueusement, lui parle. Il s'engage maintenant dans le corral pour rappeler au fier animal son allure naturellement amblée. Il le fait se mettre à différents "paso". L'élégant ambleur écoute, s'apaise, s'exécute avec complaisance, cambre avec énormément de grâce et de distinction son encolure. Les avant-bras se lèvent de plus en plus rapidement, ils donnent l'impression de tricoter avec excessivement d'ardeur et de rapidité la latérite déjà bien tassée du sol, tout en se déplaçant malgré tout, très lentement, comme s'il restait sur place, à piétiner. Ses genoux à chaque pas sont étonnament hauts levés. Les autres chevaux regardent avec intérêt et envie, prêts à imiter, cette allure fabuleuse que l'on nomme "amble". Ils se souviennent maintenant ce que leur ont transmis leurs gènes lorsqu'ils avaient commencé à être monté par ces cavaliers compétents.

Pendant ce temps, autour du corral, appuyé sur les barrières de protection de l'enceinte, le chœur masculin entonne de plus en plus fréquemment quantité d'hymnes à la gloire de la gent féminine, empruntés à des poètes latins célèbres. On s'esclaffe pour peu de choses, on affabule sur tout, et sur rien, on décrit des situations inventées, des odeurs plus ou moins mensongères, des parfums totalement imaginaires. Les situations un peu hardies deviennent réalités. La femme est alors créature céleste, déesse, oiseau, fleur, friandise, fée, gourmandise, nymphe :

"Son tus perjúmenes, mujer, los que me sulibeyan, los que me sulibeyan, son tus perjúmenes mujer. Tus ojos son de colibrí, ¡ay cómo me aleteyan!, ¡ay cómo me aleteyan!, tus ojos son de colibrí. Son tus perjúmenes, mujer, los que me sulibeyan, los que me sulibeyan, son tus perjúmenes mujer. Tus labios, pétalos en flor, ¡cómo me soripeyan!, ¡cómo me soripeyan!, tus labios, pétalos en flor. Son tus perjúmenes, mujer, los que me sulibeyan, los que me sulibeyan,
son tus perjúmenes mujer. Tus pechos, cántaros de miel, ¡cómo reverbereyan!, ¡cómo reverbereyan!, tus pechos cántaros de miel. Son tus perjúmenes, mujer, los que me sulibeyan,
los que me sulibeyan, son tus perjúmenes mujer. Tu cuerpo chúcaro, mi bien, ¡ay, cómo me almareya!, ¡ay, cómo me almareya!, tu cuerpo chúcaro, mi bien. Son tus perjúmenes, mujer, los que me sulibeyan, los que me sulibeyan, son tus perjúmenes mujer.
"

(à suivre)





18/03/2008
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